Histoire:Le début de la revolution burkinabe

Le 17 mai 1983. Ce jour là, la réaction au pouvoir a voulu arrêter un homme, elle a recolté une révolution. L’histoire ne ment pas et les mêmes causes produisent souvent, très souvent les mêmes effets.
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” Le 17 mai 1983 marque un tournant en Haute-Volta. Deux thèses s’affrontent. Les partisans de la Révolution avec à leur tête Thomas Sankara sont aux prises avec ceux épousant la cause du colonel Gabriel Yorian Somé considéré comme un officier de la coloniale, partisan farouche de la droite. La suite, c’est la mise sous éteignoir des ambitions de Yorian et la chute du Conseil du salut du peuple (CSPII) et son président, le médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo.

Le 14 mai 1983, le Conseil du salut du peuple (CSP) tient meeting à Bobo Dioulasso. Le ministre de la Jeunesse et de Sport, Ibrahima Koné a la charge de la mobilisation. La population répond à l’appel pour sa sympathie pour Thomas Sankara qui est devenu populaire à cause de ses exploits pendant le premier conflit malo-voltaïque. La deuxième cause de la mobilisation est que cette population veut entendre le message des nouvelles autorités. Thomas Sankara précède au parloir le médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo, le Président.
En véritable tribun, il tient la foule en haleine avec un discours qui ne requiert pas l’assentiment de l’aile dite de droite du régime. A la fin de son speech, c’est le crépuscule. C’est le mois de Ramadan. Chacun s’impatiente pour regagner son domicile dans l’objectif de pouvoir rompre son jeûne. Au moment où le président Jean Baptiste Ouédraogo monte pour s’adresser à la foule, la place où se tient le meeting se vide. On croit à un montage pour humilier Jean Baptiste Ouédraogo.

Le colonel Yorien Gabriel, alors chef d’Etat-major de l’Armée et son neveu Jean Claude Kamboulé, commandant du groupement blindé n’ont pas pu avaler la couleuvre de ce qu’ils ont considéré comme un écart de langage de la part du Premier ministre Thomas Sankara. Philippe Ouédraogo, ancien dirigeant de la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD) et du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) assure qu’on lui a raconté les oppositions de style et d’orientation politique qui a opposé les deux tendances du régime.

Les inquiétudes de Philippe

Ne s’étant pas déplacé à Bobo-Dioulasso, Philippe Ouédraogo se souvient que c’est à travers le compte rendu qu’il a commencé à s’inquiéter. Ses appréhensions se sont avérées justes. Le clash tant attendu s’est produit. Il soutient que c’est dans la nuit du 16 mai aux environs de 4 heures du matin qu’un coup de fil l’a réveillé, lui annonçant que le domicile de Thomas Sankara est cerné par des chars. Quant à Valère Somé, il dit avoir été informé de l’arrestation de Sankara juste avant 7 heures par l’épouse du regretté Eugène Dondassé, son camarade de l’Union des luttes communistes reconstruite (ULCR).

A l’époque, il travaillait à l’UNICEF. Il entreprit de rallier Pô en moins de deux heures. Arrivé au Centre national d’entraînement commando (CNEC), le premier soldat qu’il a rencontré, c’est Hyacinthe Kafando, aujourd’hui député à l’Assemblée nationale. Il demande à voir le commandant du camp. Il lui répond que ce dernier est en déplacement. C’est son intérimaire Tibo Ouédraogo, aujourd’hui colonel et directeur du parc automobile de l’Etat, qui le reçoit. Il l’informe de l’arrestation du Premier ministre et du secrétaire permanent du CSP Jean Baptiste Boukary Lingani. Tibo fait sonner le rassemblement et met ses hommes en position de combat, attendant l’arrivée du Capitaine Blaise Compaoré qui était le commandant du CNEC.

Sitôt après l’arrestation de Thomas Sankara, le PAI entre en action, selon Ibrahima Koné, alors ministre de la jeunesse et des sports. Il mobilise l’Association des scolaires de Ouagadougou (ASO) et une partie de l’Association des étudiants voltaïque de Ouagadougou (AEVO). Les responsables de ces deux structures ont été convoqués pour recevoir des instructions pour l’exécution des actions qu’ils devraient mener dans le but de la libération des détenus. Il y avait au devant des scolaires, Ousmane Touré et Jacques Gamené. Au niveau estudiantin, il y avait Pankolo Sougli et Saïdou Dabo. Ils avaient aussi obtenu la complicité des responsables de la Maison des jeunes et de la culture de Ouagadougou (MJCO) et comme nom connu parmi ces jeunes de l’époque, l’arbitre international Yacouba Ouédraogo. Le 20 mai, les élèves et les étudiants sont sortis et la manifestation a eu un franc succès, indique Philippe Ouédraogo.

Le 21 mai, ils n’ont pas manifesté, mais ils ne sont pas allés non plus à l’école. La condition de leur retour en classe, c’était l’élargissement de Sankara et ses camarades incarcérés.

Les anciens ULC dans l’action avec le PAI

Le 22 mai, l’aile pro-putsch tente d’organiser une marche de soutien au président Jean Baptiste Ouédraogo. Les partisans de Thomas Sankara les contrecarrent. Ils infiltrent la marche et créent des troubles. Philippe Ouédraogo se rappelle que c’est aux environs de l’hôtel Indépendance que les forces de sécurité les ont pourchassé et il est allé se cacher dans les locaux qui abritent aujourd’hui le Conseil économique et social (CES). Pour organiser ces différentes marches, le PAI a fait appel à quelques membres de l’ancienne Union des luttes communistes (ULC) qui s’était auto-dissoute en 1981. Alors, Valère Somé et Basile Guissou se réunissent avec les cadres du parti pour réfléchir sur les actions à mener. Valère assure que c’est dans le véhicule de Philippe Ouédraogo que certaines stratégies ont été définies.

Le premier tract a été intitulé : « les commandos de la Révolution » invitant la population à la mobilisation pour venir à bout de l’ordre ancien. Dans la foulée, des responsables du PAI, Adama Touré, Ibrahima Koné, Sambo Bâ, Emmanuel Dadjouari… ont été arrêtés et internés au régiment d’inter armée devenu aujourd’hui camp Sangoulé Lamizana. Cela a contribué davantage à exacerber la crise, mais ils seront libérés quelques jours après. Les actions multiples menées par une frange importante du peuple et l’entrée en rébellion de Pô ont fini par persuader les dignitaires du CSPII à libérer Sankara et Linagni le 30 mai. Le régime profite élargir Joseph Ouédraogo dit Jo Weder (syndicaliste et politicien bien connu de l’époque) et son excellence Fréderic Guirma qui étaient auparavant en prison à la suite du coup d’Etat du CSPI. Mais personne n’était dupe, malgré le discours apaisant du président Ouédraogo, tenu sur les ondes de radio Haute-Volta.

Edouard Ouédraogo accrédite la thèse de noyautage

Les observateurs de la vie politique s’attendaient à des rebondissements. Parmi les actions qui ont renforcé les appréhensions de plus d’un que la crise n’était pas rangée aux oubliettes, il y a l’explosion de la soute à munition au camp de l’Unité sur la route de Bobo le 16 juin 1983. Les militants du PAI sont commis à des tâches de surveillance de certains dignitaires du régime. D’autres sont porteurs de message à la rébellion à Pô. Certains jeunes du PAI qui était à l’époque clandestin manifestent le désir de s’enrôler dans la rébellion. Les services des renseignements jouent les complices et les militants du PAI sont informés des actions que les forces de sécurité envisagent entreprendre par les mêmes éléments des RG.

Edouard Ouédraogo, le directeur de Publication de l’Observateur Paalga dans son livre : Voyage de la Haute-Volta au Burkina Faso n’est pas loin de soutenir aussi la complicité entre les pro-sankaristes et certains éléments de la sécurité : il dit ceci : « Comble de noyautage et de la manipulation, les forces de sécurité n’étaient pas en reste, sinon comment expliquer que la police ait laissé les sankaristes s’organiser et perturber impunément la marche du 22 mai ? Le droit de manifester ne suppose-t-il pas avant tout l’encadrement et la protection des manifestants par la force publique ? » Dans le même ouvrage, l’auteur est catégorique que la Radio nationale était aussi noyautée en affirmant que : « Pis encore, à la radio nationale qui se trouvait déjà bien noyautée, on fit tout pour torpiller les communiqués invitant les ouagavillois à sortir pour la manifestation progouvernementale. »

A Bobo également, les partisans de Jean Baptiste Ouédraogo avec à leur tête Yacouba Barro, commerçant de son état, a tenté une marche sans succès. L’activisme des militants de gauche a sapé la manifestation. Le syndicat des travailleurs ouvriers voltaïque dont beaucoup de militants appartenaient à la LIPAD-PAI a manifesté sa sympathie pour le mouvement. C’est ainsi que sa section de la VOLTELEC, aujourd’hui SONABEL, a transformé une boîte à idée en boîte de la subversion. Selon Moumouni Ouédraogo, militant et travailleur à la VOLTELEC à l’époque, par le truchement de cette boîte, des officiers laissaient des messages à leurs camarades. Les militants en faisaient de même. Des lieux de rencontres étaient indiqués par des mots codés.

Le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV), malgré son appartenance à la gauche, se met à l’écart de la bagarre entre Sankara et Yorian. Mais beaucoup de ses militants s’offusquent d’une telle attitude et manifestent avec ceux qui se sont engagés aux côtés de Thomas Sankara. Un professeur de lycée connu à l’époque à Bobo, Bini Traoré, tenait des propos pro-sankaristes à ses élèves bien qu’il était proche du PCRV. Plus tard, après le triomphe de la Révolution, des militants et non des moindres de ce parti rejoindront la Révolution démocratique et Populaire (RDP). Ces sont ces militants qui formeront pour l’essentiel le Groupe des communistes Burkinabè (GCB) avec les Salif Diallo, Jean Marc Palme et autres

LSource:

MUTATIONS N. 12 de août 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)

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