INTERVIEW
L’enseignant en Théologie et en Philosophie, le docteur Samuel KORGO a accordé une interview à Yirimedia.com le 07 mars 2024 dernier. Dans cet entretien, l’enseignant-homme de Dieu se prononce sur la revalorisation des langues nationales, les défis de la communauté évangélique et surtout sur les rapports entre les groupes religieux et ethnique au Burkina. Dr Samuel KORGO est le pasteur principal de l’église centrale des Assemblées de Dieu de Ziniaré.
Yirimedia : Déjà pour commencer qui est Docteur Samuel KORGO ?
Docteur Samuel KORGO(DSK) : Je m’appelle Issiaka Samuel KORGO. Les personnes qui me connaissent depuis 1990 ,1995 savent que je m’appelle Issiaka et que Samuel s’est ajouté après. Je suis pasteur à l’église centrale des Assemblées de Dieu de Ziniaré. Et en plus de cela, je suis enseignant de théologie, et puis parfois de philosophie. Je suis aussi le directeur de l’institut d’enseignement théologique et artistique (INSETA). En dehors de ces activités je suis traducteur je traduis certains textes des langues originales vers des langues actuelles.
Yirimedia : Est-ce qu’on peut avoir une idée sur votre parcours scolaire et universitaire de façon succincte ?
DSK : J’ai étudié l’école primaire de Dapélogo, ceux qui connaissent Dapélogo me connaissent très bien. Apres je suis venu au lycée Bassy dans les années 1992 -1993 ou j’ai fait mon BEPC et mon Baccalauréat. Après j’ai fait des études de philosophie, et puis après la licence je me suis intéressé au master que je n’ai pas terminé. En plus des études en philosophie je me suis inscrit l’université catholique (USTA) ou j’ai fait un diplôme en Ethique et en Bioéthique. Après cela je me suis intéressé à la théologie où j’ai une licence au Togo, et un master en France. Et puis après le master j’ai fait une thèse de doctorat ou j’ai pris cinq, six ans pour travailler sur mon thème.
Yirimedia : Vous êtes né musulman, de parents musulmans, comment vous êtes chrétien et plutard pasteur ?
DSK : Jusque-là mon père est toujours musulman hein. Mais très jeune il m’a confié à un pasteur qui est son grand frère. Et c’est là-bas que j’ai embrassé la foi chrétienne et le parcours a été tout à fait naturel. Et jusqu’à présent mon père n’a pas trouvé d’inconvénients au contraire il m’encourage à être sincère et à être honnête là où je suis. De mon coté aussi je l’invite à se joindre à moi (sourires). Donc comme cela que je suis devenu chrétien. J’ai été convaincu par Dieu de m’intéresser davantage à la religion, de me former pour mieux connaitre. Et comme cela que je suis devenu pasteur, appelé par Dieu. Depuis j’ai fait ma formation pastorale de 1999 à 2002, et depuis 2002 je suis devenu pasteur, j’enseigne la parole de Dieu, je fais des évangélisations en ma manière.
Yirimedia : Chaque pasteur a sa force, d’autres c’est la délivrance, certains c’est la prière on vous connait humble mais dites-nous ce qui fait la force de pasteur KORGO.
DSK : Je pense que c’est l’enseignement. De par mon parcours il y a des atouts pour l’enseignement. D’abord mon cursus scolaire me permet de mieux comprendre les choses et de mieux les transmettre. D’abord ma formation philosophique me donne une certaine ouverture d’esprit, les autres formations en Bioéthique m’ont permis de m’intéresser à autres choses. C’est pourquoi ma force c’est la clarification des concepts, la comparaison des différentes compréhensions religieuses.
Donc j’enseigne…
Yirimedia : Quelles sont les exigences de la vie pastorale ?
DSK : On essaie d’être normal qui vit sa vie au quotidien comme tout le monde. Toutefois il y a des exigences parce qu’il y a le message que nous communiquons. Et il y a nécessité qu’il y a une cohérence entre ce qui est dit et ce qui est fait. Le pasteur c’est celui-là qui doit essayer au mieux de vivre selon la prescription de la parole de Dieu. C’est vrai que l’on le dit souvent l’homme est neuf mais le pasteur doit être celui là qui s’efforce à atteindre huit ou neuf. Il a ses faiblesses mais c’est quelqu’un qui travaille sur lui-même pour pouvoir être exemplaire en tout : en parole, en conduite.
Être cohérent dans tout ce qu’on fait, c’est cela qui semble être difficile. Et aussi le pasteur est l’homme de tout le monde, l’homme des musulmans, l’homme des catholiques, l’homme des animistes. Et pouvoir concilier tout cela et prêcher un message lié à une religion particulière, ce n’est pas simple. Troisième élément c’est qu’il pouvoir répondre aux besoins de tous, cela est très exigeant, il doit être quelqu’un de disponible.
Yirimedia : Aujourd’hui INSETA est un institut de référence qui fait vraiment de la révolution dans la promotion des langues nationales, comment l’initiative est née ?
DSK : L’idée est venue petit à petit. Parce que je précise que j’ai été enseignant pendant quelques années en Europe, j’ai dispensé des cours dans certaines écoles en France avant de revenir au Burkina. Du coup, les innovations que j’ai vues là-bas, j’ai voulu les dupliquer dans le milieu ou je travaille. J’ai donc commencé à enseigner quelques cours de philosophie, de théologie d’abord en français et ensuite la question est venue pourquoi ne pas enseigner les mêmes cours en langue nationale moore pour un large public. Et j’ai essayé de toucher à certains chapitres particuliers comme la justice, le droit, l’inconscient, je me suis rendu que ce sont des cours qu’on peut communiquer en mooré. Petit à petit, au fur et à mesure que j’enseignais les gens se sont intéressés. Au début ce n’était pas une école ou il y avait que des pasteurs. On avait quelques laïcs qui se présentaient et je faisais mon cours en mooré. Donc c’est comme cela que l’idée est venue, c’était petit à petit.
Yirimedia : Aujourd’hui quelle est la place réelle de INSETA dans le monde universitaire ?
DSK : Il faut noter que sa version mooré, nous l’avons à Ziniaré au Burkina Faso, mais aussi en Côte d’Ivoire. Donc déjà nous avons exporté le coté académique de la langue jusqu’en Cote d’Ivoire. Au niveau du Burkina déjà, le Ministère de l’Education nationale s’est intéressé à nos activités, et nous avons un accompagnement sérieux. A certaines de nos activités, le ministre lui-même envoie des missions particulières pour nous assister. Je pense qu’au Burkina on est très bien connu. Au niveau de la Cote d’Ivoire aussi on est bien connu. Je pense qu’aujourd’hui qui s’intéressent à ce que nous faisons. Il y a aussi que le département de Linguistique essaie de nous accompagner comme cela est possible.
INSETA – Burkina : Les étudiants apprennent à philosopher en langue nationale Mooré.
Yirimedia : Exactement le 07 octobre 2023, vous aviez soutenu une thèse de doctorat, rappelez-nous le parcours suivi, ce que le doctorat va apporter tant au niveau social que pastoral.
DSK : D’abord parlons du doctorat en tant que tel, dans le monde de l’enseignement à un moment donné pour plus de crédibilité il y a un certain nombre de diplômes qui sont sollicités aux enseignants. En ce qui concerne la thématique, j’ai travaillé sur la transmission de la foi. Parce qu’on la transmission aujourd’hui pose problème à tous les niveaux, scolaire, familial, social. Il y a un défi de transmission et on se rend compte aujourd’hui que les valeurs sont en perdition au fur et à mesure. Et quand on veut transmettre les valeurs, lesquelles des valeurs faut-il transmettre ? J’ai voulu réfléchir sur cette question et voir, est ce que la foi en tant que valeur peut être transmise ? Est-ce que la foi est transmissible ? Et comment ? C’est vraiment des questions philosophiques. Et nous nous sommes rendus que la foi est transmissible donc les valeurs sont transmissibles. Donc je pense que l’on peut travailler pour que nos enfants qui naissent aujourd’hui puissent saisir davantage les valeurs d’antan pour une cohésion sociale beaucoup plus intense
Yirimedia : Actuellement le Burkina Faso a mal à sa cohésion sociale. Ils sont nombreux ceux qui pensent que la religion constitue un obstacle à cette fraternité, ayant vécu dans divers milieux sociaux, est ce que vous avez le même avis ? Sur quel faut-il appuyer pour accélérer le processus vers la paix, la cohésion ?
DSK : Sourires, la question est tellement pertinente que je ne sais pas ce qu’il faut dire exactement. J’ai pu côtoyer des chefs coutumiers, des leaders religieux. En matière de paix et de cohésion sociale les leaders religieux et coutumiers ont un rôle à jouer. Comme le commun des mortels le dit, on pense que les religions même constituent un obstacle majeur. Effectivement, au regard de certains faits, de certaines attitudes ou de certains discours, on comprend facilement que certaines personnes puissent tenir ce discours-là. Parce qu’il y a des faits qui attestent que ce sont les religieux eux même qui poussent au radicalisme, au fanatisme et qui poussent à la division. Il y a ces faits-là.
Mais je pense que ces faits minoritaires, ce qui est majoritaire et ce qui peut être relevé avec force, qui constitue des arguments béton, c’est que la majorité des leaders religieux s’appuient sur les textes-fondateurs, la bible pour les chrétiens, le coran pour les musulmans pour dire que les croyants doivent travailler de manière à pouvoir vivre ensemble. Je ne vais pas m’aventurer sur le coran parce que je ne maitrise pas ce livre mais pour les chrétiens je peux me prononcer. Là-bas il y a une insistance très forte qui veut que le chrétien soit un homme de paix. On insiste même sur la personne du seigneur Jésus Christ qui a été un homme de paix, qui a été non-violent même s’il avait la capacité de se défendre. Donc je pense que le religieux s’il veut être cohérent avec lui-même, il ne peut pas faire autre chose que de travailler pour la paix, la réconciliation et le vivre ensemble. Et je pense que les religieux et les coutumiers sont les mieux écoutés au Burkina Faso. Nos mosquées se remplissent, nos églises se remplissent tous les vendredis et tous les dimanches. Et tous ceux là qui fréquentent nos mosquées, nos églises, s’ils se mettaient à promouvoir le message de paix, le monde irait mieux.
Yirimedia : Actuellement à quels défis la communauté évangélique fait face ?
DSK : Les communautés ne vivent pas en vase clos, donc ils sont connus de tous. Les défis que je vais citer sont connus. Tout le monde sait qu’au niveau des groupes évangéliques, il y a un défi d’organisation, un défi d’encadrement. Aujourd’hui si vous n’êtes pas chrétien évangélique, c’est très difficile de pouvoir définir clairement qui sont les évangéliques, parce ça se voit partout, des petits groupes qui sont constitués. On ne sait pas exactement qui sont-ils. Donc c’est très difficile de les définir. Donc je pense qu’à ce niveau il y a un travail qui doit être fait. Et à l’intérieur il y a des défis de doctrines, d’enseignement parce que tous ne disent pas la même chose, les messages sont parfois contradictoires à tous les niveaux. Et ce qui aggrave cela c’est le manque de formation parce qu’on se rend compte qu’au fur et à mesure qu’on augmente le niveau de formation les niveaux de distensions diminuent, les divisions se réduisent, il y a proximité, il y a rapprochement. Donc je pense que l’ignorance est aussi notre grand défi. Troisième défi, c’est aussi le défi du fanatisme et du radicalisme qu’on trouve aussi dans nos milieux. Ce ne sont pas des maux qu’on trouve seulement ailleurs. Dans nos milieux on se rend compte que de plus en plus on a des groupes radicaux extrémistes, radicaux, fanatiques. C’est vrai que la bible aidant, ils ne vont pas jusqu’à la prise des armes, ils ne vont pas jusqu’à la lutte armée mais il y a un durcissement du cote du verbe. Je pense qu’il faut que cela soit pacifique, que chacun prenne pour exemple la personne de Jésus Christ. Comment est-ce qu’il a vécu avec ses contemporains ? Et quel message il a véhiculé ? Et si chacun se posait la question, le christ à ma place qu’est-ce qu’il aurait fait, je pense qu’on va arriver à avoir un message beaucoup plus pacifique. C’est vrai qu’il avait un message radical, il appelle au changement, il appelle à la transformation mais il avait aussi un message de paix. Donc les défis sont nombreux, mais on pourra travailler au fur et à mesure à réduire les difficultés et promouvoir un christianisme biblique.
Yirimedia : Votre dernier mot pour clore cet échange.
DSK : Je dirai on est au Burkina Faso, et qui vit au Burkina Faso, et qui est burkinabè aujourd’hui soupire la paix après la cohésion sociale, tout burkinabè soupire après la sécurité. Donc mon dernier mot, c’est d’inviter chacun de contribuer d’une manière ou d’une autre, en fonction de ses compétences, à ce qu’on arrive à la paix, à la cohésion sociale. Deuxièmement, j’appelle aussi à l’unité des différents groupes religieux, à la compréhension mutuelle des groupes et groupes ethniques. On se rend compte aujourd’hui que le problème ethnique se pose avec acuité. Que le fait d’être moagha, peulh ou gulmancema ne constitue pas un problème mais que nous soyons considérés tous comme des burkinabè qui doivent vivre ensemble. Si à ce niveau c’est fait il y a un troisième niveau, je soupire après le fait que nos langues qui ont été exclues depuis plusieurs années de l’enseignement séculier, de l’enseignement académique, que nos chercheurs travaillent à revaloriser nos langues nationales. Et de manière à les introduire d’enseignement universitaire. Je suis moi-même universitaire, j’ai essayé de tester certaines méthodes de transmission, je viens de dispenser un cours de philosophie tout de suite en langue mooré avec mes étudiants. Il faut que les chercheurs tous azimuts travaillent à la promotion des langues nationales. Je termine en disant si on veut espérer un développement harmonieux et durable, il faut qu’on s’intéresse à la masse. Ce n’est pas un groupuscule intellectuel soit-il qui pourrait développer ce pays. Les connaissances universitaires peuvent être démocratisées de manière à ce que chaque burkinabè puisse s’en approprier quel que soit son âge, ou son groupe social. C’est mon soupir, c’est mon aspiration, c’est ma lutte actuelle.
Propos recueillis par Alassane OUEDRAOGO