Double vulnérabilité, c’est le terme qui collerait au mieux à ces jeunes filles étudiantes vivant avec un handicap visuel. Dans de nombreuses sociétés africaines, la personne vivant avec une déficience visuelle est vue de travers. Si certaines associent par exemple le mal de vue au mauvais sort, d’autres le considèrent comme une malédiction. Et un peu moins chez l’homme, l’aveuglisme chez la femme est encore plus dramatique. Stigmatisation, rejet, violences, voire meurtres, etc. sont autant de maux que ces femmes infirmes endurent au quotidien. La marginalisation est de telle sorte que la scolarisation des jeunes filles non-voyantes était jusqu’à une période récente impensable. En dépit de tout, certaines d’entre elles ont trouvé leur chemin contre vents et marées. C’est le cas de Tani Tindano. Etudiante non-voyante, la jeune fille brave les obstacles pour réaliser son rêve : celui de devenir journaliste. Mais avant d’y arriver, il lui faut traverser monts et vallées pour conjurer le mauvais sort.
C’est au détour d’une conférence publique sur la problématique d’un système éducatif burkinabè adapté au profit des étudiants vivant avec un handicap visuel que nous rencontrons Tani Tindano, au lycée Mixte de Gounghin, à Ouagadougou. Non-voyante depuis l’enfance, Tani est le symbole de l’adage qui dit que le handicap n’est pas une fatalité. Cette maxime populaire, elle la répète à qui veut l’entendre à chaque prise de parole devant ses camarades. Ce jour-là, dans son uniforme Faso Dan Fani blanc, assortie de rayures marrons, rien ne laisse entrevoir que Tani Tindano est frappée par un handicap visuel. Son sourire large et son accent français aussi limpide, lorsqu’elle vous aborde, vous éloignent encore plus de tout soupçon. Et pourtant !
Orpheline de père depuis l’enfance, rien n’a été donné à la jeune fille de 26 ans. Tani Tindano débute son cursus scolaire dans une école spécialisée à Madiaga, région de l’Est du Burkina Faso à plus 400 km de la capitale Ouagadogou. Contrairement à l’école primaire où elle enchaine sans grandes difficultés, elle va vite faire face aux dures réalités du système classique d’enseignement à partir de la classe de sixième. Le problème à partir du collège ; elle est stigmatisée et rejetée par certains camarades et même une partie du personnel éducatif. Ceux-ci considérant son handicap comme un mauvais sort qui peut les « contaminer ». La jeune dame explique son supplice en ces termes : « Il y a des enseignants qui ne comprennent pas, des camarades de classes qui ne veulent pas collaborer parce qu’ils se disent que le handicap est une malédiction. »
Pourtant le handicap ne dispense pas de l’excellence….
Malgré tout, les préjugés n’ont guère ébranlé le moral de la scolaire tant ses résultats étaient bons. En outre, Tani tenait la première place de sa classe de sixième avec un effectif de 92 élèves. En 2019, elle décroche son Baccalauréat série A4. Le diplôme en poche, elle décide de poursuivre ses études à Ouagadougou, la capitale. Là, elle se résout à s’inscrire en journalisme à l’Institut des Techniques de l’Information et de la Communication (ISTIC). Son objectif, devenir journaliste et combattre les préjugés sur le handicap, particulièrement le handicap visuel. Le hic, l’administration hésite dans un premier temps d’enregistrer son dossier au regard de sa situation (de non-voyante). Avec son obstination, la direction de l’école accepte au bout du compte l’inscription de la jeune étudiante. Pour Tani Tindano, le manque d’information constitue le véritable obstacle à l’épanouissement des personnes vivant avec un handicap. « Je suis venue à l’ISTIC avec un objectif bien visé parce que depuis ma classe de troisième, j’aspirait devenir journaliste pour prouver que le handicap n’est pas une fatalité » explique-t-elle. Puis, d’ajouter : « J’ai remarqué que le manque d’informations sur le handicap rend la vie difficile aux enfants dans les villages. J’ai choisi de faire ce métier pour faire la lumière. »
Fille et handicap : une double vulnérabilité qui ne favorise pas….
La déficience visuelle chez la fille est une double vulnérabilité. Les parents, déjà réticents à inscrire la jeune fille à l’école, trouvent aberrant de le faire quand elle est aveugle. Cette perception est largement partagée par nombre de personnes qui voient en la personne aveugle un bon à rien dont la scolarisation est un investissement à perte. En 2020, Handicap international a évalué à plus de 72% le pourcentage d’enfants en situation de handicap n’étant pas scolarisé. Les chiffres sont moins reluisants chez les personnes déficientes visuelles et encore plus chez les jeunes filles.
La jeune Tani Tindano le sait mieux que quiconque. Il est en effet difficile de pouvoir suivre un cursus scolaire normal lorsqu’on est jeune fille non-voyante surtout dans les contrées reculées où les infrastructures ou matériels didactiques sont inadaptés et les préjugés sur le handicap populaires. « Les parents se disent que ce n’est pas la peine de dépenser son argent pour envoyer une fille à l’école et de surcroit en situation de handicap (visuel). Donc dans cette situation on est doublement vulnérable parce que tous les deux côtés, les facteurs ne nous favorisent pas » raconte mademoiselle Tindano, pour qui, les choses doivent changer. Changer à travers le regard de la société afin que la jeune fille déficiente visuelle ne soit pas seulement vue comme destinée à être mariée mais qu’elle puisse aussi aller à l’école et être utile à son mari, à la société. Aussi que l’Etat joue sa partition en créant des conditions favorables d’études aux déficients visuels.
Tani Tindano, « une fille très intelligente et engagée… »
Léon Ouédraogo est le président de l’association des élèves et étudiants aveugles et malvoyants du Burkina. Pour lui, ce qui est inédit chez Tani c’est sa morale qui lui permet de surpasser son handicap. « C’est une fille très intelligente, engagée. Elle a vraiment l’envi de montrer au vu de l’opinion que le handicap n’est pas une fatalité » témoigne-t-il.
Tani Tindano a soutenue avec brio en 2022 son diplôme d’assistant en sciences de l’information et de la communication. Elle décroche la note 18 sur 20 en défendant son thème intitulé : « L’enseignement de l’alphabet braille au primaire et au secondaire, une alternative pour une éducation inclusive au Burkina Faso. » A l’impossible nul n’est tenu ! La jeune dame a montré que des jeunes filles malvoyantes ou aveugles avaient les mêmes capacités intellectuelles que les garçons. Pourvu qu’elles aient les mêmes chances que ces derniers. Aujourd’hui, Tani Tindano poursuit son perfectionnement en journalisme à la radio nationale.
Alain YAMEOGO