L’avènement de la crise sécuritaire a beaucoup impacté de nombreux domaines de la vie des burkinabè. Mais s’il y a un domaine qui est très touché par ce phénomène, c’est bien celui de la faune et de la flore. Du même coup la surveillance de ces réserves et foret par les agents des eaux et forêts devient impossible favorisant ainsi la criminalité environnementale. Pour mieux cerner cette question, nous avons été à la rencontre du colonel Dieudonné Yameogo, directeur général de la faune et des ressources cynégétiques du Burkina. Dans cette interview, le colonel Yameogo revient sur les textes qui encadrent la protection des aires au Burkina, le rôle des populations dans cette mission de protection des aires.
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Yirimedia(YM) : Monsieur le directeur dites-nous, comment se fait la protection d’une aire au Burkina Faso ?
Dieudonné Yameogo (DY) : Il faut dire que le Burkina dispose d’environ soixante-dix-sept aires protégées. Parmi les soixante-dix-sept, il y’a vingt-huit qui sont des aires de protection fauniques. Cela veut dire que ce sont des espaces dédiés un peu à la conservation de la faune. Il faut dire aussi que le Burkina a mis en place depuis 1996, une gestion tripartite de la faune. Cette gestion implique différents acteurs : l’Etat, les opérateurs économiques et enfin les populations. Donc le rôle de l’Etat est essentiellement la protection des aires protégées. L’Etat doit mobiliser les ressources pour assurer la sécurisation des aires protégées. Et cela en synergie avec les populations riveraines. Concrètement, ce sont des brigades vertes qui sont disposées au niveau des aires protégées et qui mènent au quotidien la lutte contre le braconnage et contre toutes les criminalités environnementales.
Y.M : Votre réponse nous permet de faire une belle transition, Concrètement comment se fait la participation des populations locales, vous (agents des eaux et forêts) dans votre mission de protection de l’environnement ?
DY : Quand c’est une aire protégée, on organise les communautés locales en groupements de gestion de la faune. Donc ça ce sont des organisations paysannes qui regroupent les populations qui sont aux alentours des aires protégées. Et c’est parmi ces populations qu’on recrute un peu les pisteurs, les éco-gardes, qui sont des supplétifs des agents forestiers, et c’est eux les guides des agents forestiers dans la brousse. Pour lutter contre toute sorte de criminalité que ce soit le braconnage, la coupe abusive du bois, la pêche illégale, l’orpaillage.
Y.M : Au Burkina, quels sont textes qui encadrent le classement et la protection des aires protégées ?
DY : Il y’a d’abord la constitution, ensuite le code forestier qui est relu constamment. Actuellement le code en vigueur, c’est le code de 2011. Le code a aussi des textes d’applications liés à la chasse, à l’exploitation forestière, au classement même des aires protégées.
YM : Une fois qu’une aire est protégée, même la petite forêt de mon village ou de ma commune par exemple, qu’est-ce que ça change concrètement, si vous voulez quelles sont les implications ?
DY : Le classement est une sorte de reconnaissance. Ça veut dire qu’on donne une valeur juridique à l’entité classée. Quand il y a des empiètements, on a des textes sur lesquels on peut se baser pour ester en justice ou bien faire de la répression. Et On peut se servir de ça pour négocier des financements à différents partenaires. C’est comme aussi l’acte de naissance. Quand vous voulez faire un plaidoyer il faut prouver que la forêt existe, il faut prouver que la foret existe, en montrant l’acte constitutif. On peut se baser sur ce texte pour régler les conflits qui peuvent avoir lieu autour.
Y.M : Vous avez parlé du nombre des aires protégées du Burkina, est ce que vous pouvez revenir sur quelques-unes et leurs caractéristiques par rapport à d’autres pays.
DY : J’ai dit qu’il y a soixante-sept, il y a vingt-huit qui sont destinées à protection de la faune et parmi ces vingt-huit il y a des parcs nationaux comme, le parc d’Arly à l’Est, le parc W, le parc national Tamby Kabore à Po etc.…. Il y a aussi des réserves totales. Dans un parc national, la seule exploitation possible c’est l’éducation environnementale, c’est l’éco-tourisme. On ne peut pas faire de la chasse. Il y a aussi les réserves totales. Dans une réserve totale, on ne peut pas aussi exploiter la faune, les espèces de faune sont intégralement protégées. Nous avons aussi des réserves partielles ou, on peut exploiter la faune, faire du tourisme et la pèche etc.… Nous avons des ranchs, qui sont des espaces ou on a fait beaucoup d’aménagements en terme d’hydrauliques faunique, de gestion des pâturages, ou on a construit des infrastructures hôtelières. C’est de dire qu’on valorise ça sous différentes visions. Et en dehors des aires protégées, nous avons les forêts classées ou on fait des aménagements, on exploite le bois et on commercialise. Donc c’est un peu la nomenclature de nos aires protégées comme ça. Il y’ a certaines qui ont des reconnaissances internationales qui sont des réserves de la biosphère compte tenue de la valeur de leur patrimoine. C’est par exemple le parc d’Arly, qui est une réserve de la biosphère.
Y.M : Quels sont les problèmes que les services étatiques rencontrent dans leur mission de protection de faune et de la flore ?
DY : A l’heure actuelle c’est vraiment l’insécurité. Depuis pratiquement 2016, Ça s’est exacerbé en 2018. L’insécurité a mis à rude épreuve le dispositif de surveillance de nos aires protégées. L’administration forestière n’est plus partout. La plupart de ces aires protégées sont abandonnées. Du même coup, la criminalité environnementale que ce soit le braconnage, la coupe abusive du bois, l’orpaillage s’est accrue. On arrive plus à avoir des données fiables par rapport aux potentialités qui sont dans ces aires protégées. A titre d’exemple, cette année nous n’avons même pas la campagne de chasse. La campagne d’exploitation faunique n’a pas pu organisé compte tenue de l’insécurité. Depuis quelques années il n’y a plus de touristes.
Y.M : D’aucun ne parleraient que la concession ou le classement de ces réserves notamment à l’Est ont milité à ce que beaucoup de jeunes basculent en faveur des groupes terroristes qui nous endeuillent actuellement, est ce que vous êtes de cet avis ?
DY : Je ne suis pas de cet avis. Je vais vous resituer le contexte. Une concession de chasse est une aire protégée, c’est une réserve partielle qui est cédée à un opérateur économique. Mais cette cession ne se fait pas de gré à gré. C’est par marché public qu’un opérateur économique signe un contrat avec l’Etat pour exploiter. Et il y’a des cahiers de charges. Dans le cadre de la gestion des concessions, la population riveraine participe au côté de l’Etat et des opérateurs économiques à l’aménagement et à la surveillance des aires protégées. Il y’a aussi des retombées pour l’Etat et même pour la population, beaucoup de populations riveraines avaient trouvé des emplois dans ces espaces. Donc ce n’est pas le système de concession qui a été une opportunité, qui a créé des difficultés, qui a empiété sur les intérêts des communautés pour les basculer dans l’insécurité. Dans les zones où il n’y a même pas d’aires protégées aujourd’hui mais il y’a l’insécurité. C’est des zones qui sont favorables parce que ça sert des cachettes pour les terroristes.
Y.M : Vous en tant que technicien, quelles sont les solutions que vous préconisez que soit du point de vu sécuritaire, pour que vraiment on puisse retrouver toutes les aires qui font notre fierté ?
DY : Au jour d’aujourd’hui, nos aires protégées sont malades. Je pense que la première solution c’est d’y apporter des remèdes nécessaires. C’est dire œuvrer à sécuriser nos aires protégées. Tant que les aires protégées se seront pas protégées, il va être difficile de pouvoir développer des activités tendant à leur gestion durable. Parce que quand tu ne contrôles pas un territoire, c’est difficile d’y mener des activités, de dire voici mes objectifs à court, moyen ou long terme par rapport à cette espace. Donc aujourd’hui, toute la lutte doit être focalisée qu’on puisse récupérer les aires protégées. Et les aires qui ne sont pas encore basculées sous le joug de ces groupes terroristes, c’est travailler à renforcer la sécurisation en associant les populations et tous les acteurs pour les garder intacte, continuer la surveillance et travailler à les valoriser.
Entretien réalisé par Le citoyen.